Rencontre avec Mgr Santiago Agrelo Martinez, archevêque franciscain de Tanger

Publié le par anathema.over-blog.com

Au Maroc, le chrétien est un étranger

Jacques Berset, agence Apic


Tanger/Fribourg, 18 mai 2012 (Apic) Les autorités marocaines ont une grande estime pour la petite minorité catholique du pays, affirme Mgr Santiago Agrelo Martinez. "EIles ont plus que du respect pour nous… les catholiques vivant au Maroc sont très appréciés", confie à l’Apic l’archevêque franciscain de Tanger (*), ville marocaine située en face du Détroit de Gibraltar.

 

26583h480w640.jpg

 

Mais l’avenir de cette Eglise, qui compte quelque 2’500 catholiques de nationalité étrangère pour l’archidiocèse de Tanger et 25’000 pour celui de Rabat, n’est pas radieux. Elle manque de personnel et sent le poids des années, ce qui pourrait rendre sa présence aléatoire. Bénéficiant d’un "dahir" (décret royal) du roi Hassan II, l’Eglise catholique au Maroc a un statut juridique qui lui permet de développer ses activités de culte et ses œuvres sociales dans les étroites limites de la légalité du pays.

Cependant, dans le Royaume chérifien, où le roi porte de titre de "Commandeur des croyants" (Amir al-Mouminine), les lois anti-prosélytisme interdisent aux chrétiens tout travail d’évangélisation.


Apic: L’Eglise catholique au Maroc n’a pas le droit d’évangéliser…


Mgr Agrelo: Actuellement, l’Eglise catholique est très appréciée par le gouvernement, notamment pour ses œuvres sociales. Si notre présence ne se base pas sur un concordat, le "dahir royal" est une loi qui nous protège et légitime toutes nos activités.

Certes, on pourrait, comme nous sommes tous des étrangers, nous demander de partir du jour au lendemain. Nous ne sommes que des hôtes au Maroc, et on ne peut se permettre aucune déviation par rapport à la législation. Nous n’avons actuellement aucun problème, à condition de respecter strictement la loi, ce que nous faisons dans le respect de notre pays d’accueil.

Dans mon pays d’origine, en Espagne, il y a encore de nombreux chrétiens qui pensent que nous devons agir contre ces lois anti-prosélytisme qui violent la liberté de conscience des individus. Certes, en tous lieux, évangéliser, c’est nécessairement servir, mais auprès des musulmans du Maroc, c’est uniquement servir…


Apic: Il y a eu effectivement, dans les années 2009-2010, une vague d’expulsions de chrétiens étrangers accusés de faire du prosélytisme…


Mgr Agrelo: Ces mesures nous ont fait comprendre la fragilité de notre situation, nous qui sommes ici "dé-terrés". On pense que le gouvernement a pris ces mesures pour calmer les islamistes, mais je ne pourrais pas donner une explication fondée. Il y a dans ce pays des lois anti-prosélytisme, que je considère comme injustes, car elles nous empêchent de manifester concrètement et publiquement ce à quoi nous croyons. Mais nous devons respecter ceux qui ont une autre foi, ne pas les questionner sur leur foi.

A l’évêché, presque tout le personnel est musulman. Ce sont également des musulmans qui travaillent dans nos œuvres sociales. Nous devons faire en sorte qu’ils puissent vivre leur religion sans entraves. Le jour de leurs fêtes musulmanes, je leur fais un cadeau. Mais dans le domaine pastoral, ce ne sont que les catholiques qui travaillent.


Apic: Les conversions ne peuvent alors qu’être clandestines…


Mgr Agrelo: Si on est citoyen marocain, on ne peut être que musulman ou juif. Les chrétiens ne sont que des étrangers. Il est interdit de prêcher en dehors de la communauté, c’est un fait et c’est la loi. La prudence et l’efficacité nous conseillent d’être respectueux des lois. Je ne connais pas de conversions de Marocains dans l’archidiocèse de Tanger.

Mais ce que je crains le plus, ce n’est pas l’absence de liberté religieuse ni de liberté de conscience. Ce qui me préoccupe, c’est que, demain il n’y ait plus ici de mains chrétiennes pour faire partager aux pauvres le pain de l’espérance.

Je pense être le dernier évêque franciscain de la Province franciscaine de Santiago (Saint-Jacques de Compostelle) à Tanger, car notre Province a désormais d’autres priorités, mais l’Ordre franciscain continuera d’être présent au Maroc et ne va pas abandonner cette mission.


Apic: Qui sont les catholiques de votre diocèse ?


Mgr Agrelo: Sur un territoire d’un peu plus de 20’000 km2, notre diocèse, qui compte 7 paroisses (6 de langue espagnole et une de langue française), occupe, la grande partie de l’ancien Protectorat espagnol au Maroc. Nos quelque 2’500 catholiques sont notamment des familles européennes, pour la plupart des familles espagnoles restées au Maroc après l’indépendance du pays, de jeunes Africains venus faire des études dans les universités marocaines, du personnel travaillant dans les écoles et instituts étrangers, des employés d’entreprises étrangères, des délégations diplomatiques, et…des prisonniers.

Outre les Espagnols, les catholiques sont Philippins, Italiens, Portugais, Français, mais également Africains subsahariens, venant du Niger, du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, du Congo, du Nigeria… Nombre d’entre eux – hommes, femmes et enfants - sont des clandestins. Nous en aidons quelques uns à l’évêché, c’est une partie importante de notre travail pastoral.

D’autre part, nous travaillons également au plan pastoral dans la prison de Tanger, dans la section pour les étrangers. Si on érigeait une paroisse dans cette prison, ce serait celle qui compterait le plus de fidèles de tout l’archevêché ! La plupart de ces prisonniers – il y en a habituellement une bonne centaine – ont été arrêtés pour trafic de drogue, et la grande majorité sont des Espagnols.

Il faut que les gens sachent que les conditions de détention dans les prisons marocaines sont très dures. Bien que cette situation soit connue, il ne semble pas que cela dissuade les transporteurs de cannabis. Certains tentent leur chance de cette façon, étant donné la crise économique qui frappe l’Espagne, qui est juste à côté, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.


Apic: Si la prédication vous est interdite, vous évangélisez tout de même par vos actes !


Mgr Agrelo: Nos œuvres manifestent qui nous sommes. C’est peut-être l’aspect le plus évident de notre Eglise dans cette réalité musulmane. Une petite Eglise, poignée de sable sur une plage, mais profondément enracinée dans la société, solidaire des nécessiteux, qui s’efforce d’agir pour un monde plus juste pour tous.

Notre diocèse compte quinze instituts religieux, auxquels il faut ajouter le Mouvement des Focolari, quelques prêtres "Fidei donum" (des prêtres diocésains qui restent attachés à leur diocèse d’origine et y retournent après quelques années passées au service d’une Eglise missionnaire, ndr), et quelques coopérants laïcs.

Le domaine le plus important de nos activités est celui de l’éducation, y compris les projets d’alphabétisation, d’appui scolaire, de formation professionnelle, de promotion de la femme. Nous offrons également des cours de langue, et nous disposons de centres culturels, de bibliothèque, d’activités de dynamisation culturelle et d’une école agricole. Le diocèse est aussi actif dans le soutien aux handicapés physiques et psychiques, aux enfants sourds-muets. A cela s’ajoutent les actions sociales que mène l’Eglise au nord du Maroc, comme les centres de distributions de repas et d’habits pour les plus pauvres. Il faut encore mentionner des projets axés sur les nouvelles pauvretés qui sont d’autres défis pour notre Eglise.

Depuis quelques mois, nous avons mis sur pied un Centre d’accueil pour les jeunes filles en situation de risque, qui nous sont adressées par les autorités judiciaires marocaines. Depuis de nombreuses années, nous venons en aide aux immigrés clandestins, grâce notamment à une Délégation diocésaine qui tente de répondre aux nombreux besoins des personnes qui, faute de papiers officiels, sont privées de leurs droits les plus élémentaires.


Apic: Votre priorité pastorale, dans l’esprit du "Poverello" d’Assise, ce sont donc les pauvres.


Mgr Agrelo: Rappelons-nous que Jésus n’a pas été envoyé en premier lieu aux philosophes, aux puissants de la terre, aux hommes politiques, aux militaires ou aux commerçants, mais bien aux pauvres. Finalement, nous ne sommes pas envoyés aux religions de la terre, mais aux pauvres de la terre.

Au Maroc, le paradoxe que nous vivons, en tant que chrétiens, dans notre relation avec le monde musulman, c’est que nous portons l’Evangile de la liberté, de la lumière et de la grâce à des personnes que, légalement, nous n’avons pas le droit d’évangéliser.

(*) Mgr Santiago Agrelo Martinez, archevêque franciscain de Tanger, au Maroc, est né en 1942, en Galice, à l’extrémité nord-ouest de l’Espagne. Ordonné prêtre en 1966, il est depuis 2007, archevêque de Tanger. L’Apic a rencontré Mgr Agrelo à Fribourg lors du colloque interdisciplinaire sur "Les impulsions franciscaines au dialogue interreligieux", organisé à l’Université les 4 et 5 mai 2012 à l’occasion du départ à la retraite (éméritat) du professeur Adrian Holderegger, professeur de Théologie morale fondamentale à la section germanophone de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. (apic/be)

 

Source : http://kipa-apic.ch/a231786 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article